Immigration: Témoignage d'un migrant rentré au pays.

Publié le 29 mars 2025 à 01:26

Il a la mine déconfite mais relativement sereine des gens désabusés par le film tragique de leur expérience.

Comme la plupart des jeunes de sa génération, il a longtemps vécu avec la certitude que les conditions d’un accomplissement idéal ne se trouvent que dans les reflets mirobolants que l’occident fait miroiter à la face de la «négraille debout», pour parler comme Césaire. Ainsi, à la première occasion, ce presque quadragénaire venu du Saloum fait le grand saut vers l’inconnu hexagonal et reçoit au bout comme une décharge électrique cette vague de désillusions qui ne cesse de forcir sur le dur chemin de l’aventure européenne. Aujourd’hui, contrit et traumatisé, cet “Ulysse” noir sans gloire s’accroche désespérément aux fils minces de sa foi qui ornent l’espace sombre dans lequel l’a projeté son douloureux “retour au pays natal”…

Il y a deux choses auxquelles Bounama Diamankha, (patronyme d’emprunt), semble tenir comme à la prunelle de ses yeux: ses origines et son long apprentissage du Coran: “Je suis né en 1974 et je suis originaire de Ngayène Sabakh. C’est dans le Saloum, aux alentours de la mythique Médina Sabakh. J’ai fait une immersion très matinale dans le Coran et j’y ai baigné pendant très longtemps. Franchement, je ne connais que le monde des lettres coraniques. Et pour tout vous dire, il n’y a pas longtemps que ce long compagnonnage s’est distendu…”.

Arrivé à Dakar en 1992, Bounama Diamankha ne tarde pas à contracter la passion automobile. Le permis de conduire en poche, il décroche sans trop forcer, comme par miracle, une embauche dans une compagnie de transport industriel comme conducteur de camion citerne. Ses mots ne sont pas assez jolis pour décrire le niveau enviable de son salaire: “A vrai dire, je me plaignais pas. J’étais assez bien payé et en plus, mon activité de chauffeur laissait place à des “mothiate”, c’est-à-dire des dividendes indûment glanées dans le cadre même de l’exercice de la profession”.

Enivré par le niveau de ses revenus, il ne se fait pas prier pour intégrer le cercle agité des seigneurs polygames: “J’avais autour de moi mes deux épouses, qui ne se plaignaient de rien, et ma petite progéniture. A cette époque, franchement, tout marchait comme sur des roulettes…russes”!

 

“J’avais un bon emploi”.

Bounama se sentait tout de même envahi par un désir profond d’aspirer à plus de réussite. La vérité est qu’autour de lui, des jeunes de son âge et de sa condition se détachent par grappes entières pour tenter l’aventure de l’émigration. Ballotté alors par l’ouragan du mimétisme, Bounama Diamankha ne cherche point à céder à la coquetterie d’une résistance inutile. Nous sommes en 2018.Bounama démissionne de son poste de chauffeur, rassemble ses économies, et avec l’assistance supplémentaire d’un “grand frère”, s’envole vers la patrie de Giuseppe Conte.

Une fois sur place, après l’assurance d’un accueil correct par les soins d’un proche parent, il fait comme “tout le monde” et se lance dans le rude quotidien de marchand à la sauvette. Marchandises et foi en bandoulière, il parcourt, avec l’ardeur d’un forcené et la régularité d’une horloge, le pays de Balotelli. “On allait de ville en ville, interminablement, l’important étant d’écouler la marchandise qu’on avait sous le bras…”

La dureté de l’activité exercée ne l’empêchait pas de donner sens à une planification particulièrement rigoureuse qui relevait d’un calcul d’épicier. “C’était très difficile de thésauriser, mais j’arrivais toujours à surmonter les obstacles pour m’acquitter de mes obligations primaires dans mon pays d’accueil comme en direction de mes enfants et de mes deux femmes que j’avais laissés ici”.

 

“La mort de ma femme m’a traumatisé”.

La sérénité qui caractérisait ce quotidien de débrouillardise du jeune émigré est rompue par l’annonce d’une nouvelle qui l’a anéanti: “Un matin, mon téléphone sonne. Et la nouvelle tombe comme une foudre: ma deuxième épouse venait de décéder au Sénégal. Nous étions tellement bien, elle et moi. Jusqu’au moment où je vous parle, il n’y a rien de très clair sur les raisons de cette mort. La seule certitude que j’ai est que sa disparition a complètement bouleversé le cours de ma vie et que son absence me pèse au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer. C’était plus qu’une épouse modèle et je voudrais que toutes les épouses du monde soient comme elle”.

Pour corroborer la sincérité de son propos, Bounama rappelle avec quelle puissance herculéenne la mort de sa femme a fait bouger les lignes de son destin d’aventurier: “Lorsque son décès m’a été annoncé, durant des nuits entières, l’image de ma femme m’habitait. Dès lors, mes efforts pour rester entier et cultiver mon jardin étaient vains. Alors la seule décision salutaire qui s’imposait à ma conscience c’était de rentrer”.

 

“J’ai tout perdu et j’ai pas vu la lumière que je cherchais”.

Avec la force stoïque d’un désespéré de haut rang qui s’immole, M. Diamankha mesure l’ampleur des dégâts causés dans sa jeune existence par cette parenthèse migratoire: “J’ai abandonné mon travail, qui m’assurait une vie tout à fait correcte, j’ai rassemblé toutes mes économies, je me suis payé un billet et je suis parti émigrer. Au bout du compte, qu’ai-je trouvé? Tas de désillusions, car ce que je pouvais gagner ici en tant que chauffeur de camion citerne, je ne gagnais même pas le dixième en Italie. J’ai fait un retour forcé au pays natal, et je suis contraint de supporter la dure réalité de retrouver les mêmes privilèges que j’avais avant d’aller à l’aventure…”.

Et Bounama Diamankha de faire cette confidence sans appel: “Chacun a le droit de rêver et d’emprunter la direction qu’il veut pour se réaliser. Mais moi, je ne conseillerai jamais à un jeune compatriote de renoncer au peu de privilèges qu’on a ici et faire ce saut périlleux et aventureux vers l’inconnu. Vous pouvez me croire: pour rien au monde je ne retournerai en Europe”.

Et  notre migrant rentré au pays, pour mieux faire sentir l’écume amère de son expérience, se met dans la peau d’un historien de l’échec pour égrener les petites misères ambiantes qui ont gagné l’essentiel des ressortissants sénégalais jusqu’à la moelle épinière: “Vous aurez de la peine à le croire, mais l’Europe est peuplée de nos compatriotes qui ne voient même pas le diable pour lui tirer la queue. Ils triment comme pas possible là-bas. Ils sont complètement rongés par la désillusion, et la seule chose qui les retient là-bas, c’est l’orgueil. Ils sont très nombreux à être dans ce cas. Il y a certains de nos compatriotes qui sont là-bas. Certains, s’ils avaient la certitude qu’une fois de retour au pays ils pourraient gagner 100.000 FCfa par mois, je vous le jure vous les verrez aussitôt ici”.

 

“L’émigration mène à tous les chemins de la débauche et de la déperdition…”

A l’image de tous les fils aînés de l’aventure,  Bounama vit avec la certitude de l’échec de son expérience d’émigré. “C’est vrai que mon expérience d’émigré me reste en travers de la gorge. Mais elle m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. J’en remercie le ciel. Ce qui m’a le plus traumatisé dans ce contact avec l’occident, c’est le mépris profond et la condescendance dont les blancs font preuve envers le nègre. Leur mépris envers l’émigré noir est visible dans leurs moindres actes et propos. Il s’y ajoute qu’ils ne vous laissent pas travailler. Les marchands ambulants sont soumis à des tracasseries incessantes et arbitraires. Quand tu es vendeur à la sauvette, n’importe quel vulgaire policier municipal peut confisquer ta marchandise et te mettre aux arrêts si tu refuses de payer…”

Aujourd’hui, après avoir perdu quelques années dans une aventure infructueuse,  Bounama Diamankha se voit piégé dans l’inextricable écheveau du retour forcé au bercail. Un camion citerne acquis grâce à la sollicitude d’un ami et “grand frère” demeure sa seule source de revenus. Et encore!: “Je suis l’associé de ce grand frère, qui a accepté de compléter les économies que j’avais apportées en revenant, et ensemble, on a acheté ce camion. Seulement le problème est que la bagnole ne trouve pas toujours du travail. Parfois on peut rester près d’une semaine sans voir l’ombre d’un client, alors que les obligations familiales n’attendent pas. Pour tout dire, je vis à l’heure actuelle une vraie vie de débrouillardise, et si par extraordinaire je rencontrai une société pétrolière qui accepte de m’embaucher comme chauffeur avec le même traitement salarial qu’avant mon émigration, je ne trouverai pas assez de mots forts pour remercier le ciel”.

 

“Mon retour, un combat pour la survie”

Avant de refermer l’évocation de ce douloureux chapitre de sa vie,  Bounama a cru bon de lever un coin du voile sur les extravagances et les écarts incroyables auxquels se livrent certains de ses compatriotes en Europe: “Il y a de ces choses, si vous êtes ici au pays, vous ne pouvez croire un instant que nos compatriotes en sont capables. Mais je vous le jure que moi, j’ai être témoin de scènes pas croyables. Rendez-vous compte que là-bas chez les blancs, ils existent des couples de sénégalais dont le mari est pédé et l’épouse prostituée! Je vous le dis, ça c’est monnaie courante là-bas. De même, il y a beaucoup de femmes mariées qui prétendent gagner dignement leur vie. Alors qu’il n’en est rien! Elles trompent gravement leurs maris restés au pays en se livrant à des pratiques licencieuses…”

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