
C’est sans doute un des dossiers les plus noirs que la mémoire de l’état français doit affronter depuis 30 ans: celui du génocide rwandais.
Quel a été le rôle de Paris, et de la diplomatie mitterrandienne, dans le déclenchement des massacres barbares qui ont coûté la vie à près d’un million de Tutsis, en 1994? Comment une incroyable manipulation judiciaire a-t-elle été orchestrée pour exonérer l’Etat français de toute responsabilité dans cette barbarie?
Epouvantable interrogation. Pour répondre à ces deux questions, il fallait s’éloigner des polémiques hexagonales, reprendre le dossier méthodiquement, sans à priori. Et s’en tenir aux faits judiciaires. A l’enquête sur l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, événement majeur, à l’origine du génocide.
C’est ce qu’ont réalisé Catherine et Philippe Lorsignol, dans une enquête pour la RTBF. Ces deux journalistes belges ont reconstitué le scénario du crash du Falcon du chef de l’Etat rwandais, abattu par un missile sol-air, alors qu’il était en phase d’atterrissage sur l’aéroport de Kigali, tout près de la résidence présidentielle. Acte terroriste invraisemblable? Très vite, l’attitude de la France apparaît plus que trouble.
La vérité vient du terrain.
En remontant le fil du drame, force témoins à l’appui, le document belge précise le rôle central d’un personnage-clé: Paul Barril, l’ancien membre de la cellule GIGN de l’Elysée. Barril, l’agent multicarte du mitterrandisme de l’ombre, se trouve au cœur du dispositif.
Le président Habyarimana, pour sa propre communauté, était devenu un traître, un renégat. Parce qu’il avait signé les accords d’Arusha, organisant le partage du pouvoir entre les deux ethnies ennemies. La paix était à ce prix. Il était devenu le “valet des Tutsis”. Il était l’homme à abattre. Dans le documentaire de Catherine et Philippe Lorsignol, de nombreux témoins confirment l’hypothèse du complot des extrémistes hutus. Leur projet: éliminer le “traître” et déclencher les tueries.
Et pourtant, pendant douze ans, la justice française va se claquemurer dans une version fabriquée de toutes pièces, celle d’un meurtre commandité par les Tutsis pour… déclencher leur propre génocide.
Absurde? Le juge Jean-Louis Bruguière, avec une cécité et un acharnement surprenants, ne bougera pas de cette ligne.
Les trouvailles du juge indépendant.
Catherine et Philippe Lorsignol apportent des preuves irréfutables, par de solides et nombreux témoignages, que le génocide des Tutsis était programmé depuis plusieurs semaines, qu’il n’avait rien de spontané, que la mort du président “félon” était le “top départ” des massacres et, enfin, que la France a tenté d’échapper à ses lourdes responsabilités. C’est désormais la piste que suit le juge Marc Trévidic, successeur de Jean-Louis Bruguière. Le magistrat, réputé pour son indépendance a apporté plus de lumière des éléments nouveaux et déterminants qui réorientent radicalement l'enquête sur l'attentat du 6 avril 1994, qui a marqué le début des massacres.
Cette étude technique destinée à localiser le point de départ du tir du missile qui a abattu le Falcon 50 du président Juvénal Habyarimana tendait à disculper le Front populaire rwandais (FPR) -l'armée rebelle d'alors, dirigée par l'actuel président rwandais, Paul Kagamé- de la responsabilité de l'attentat. Au contraire, il incrimine, implicitement, le camp adverse, celui des extrémistes hutus, et il enterrait un peu plus profondément l'ordonnance du juge Jean-Louis Bruguière établit en 2006 sur la base de témoignages accusant Paul Kagamé.
Le président tué, le FPR profitait du chaos et s'emparait de tout le pouvoir par la force des armes sans avoir à passer par des élections -prévues dans les accords d'Arusha signés huit mois plus tôt-, mais que le chef de la minorité Tutsi ne pouvait pas gagner en vertu du poids démographique insuffisant de sa communauté. En d'autres termes, à la question "à qui profite le crime ?", le juge Bruguière répondait Paul Kagamé.
Depuis que les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux ont repris le dossier, plusieurs témoignages retenus par le juge Bruguière ont été formellement contredits. Ou bien leurs auteurs se sont rétractés. Leur rapport a permis d'établir de fortes présomptions sur les responsabilités d'extrémistes hutus. Mais il ne permet pas d'identifier formellement les auteurs, ni leurs motivations. Les acteurs recherchant la “vérité” se disaient "convaincus que des langues vont maintenant se délier, y compris à Paris". Même s’ils ne sont pas sûrs que toute la lumière soit faite, un jour, sur cet attentat qui a fait basculer le Rwanda dans l'horreur.
Et 30 ans plus tard…
La Ville de Liège ne va pas commémorer l’anniversaire du génocide des Rwandais Tutsis cette année. Une célébration devait se tenir le 12 avril, mais le contexte international a refroidi la Ville et sa police à cause de la guerre dans l’est du Congo
"Une analyse de risques a été effectuée" explique la porte-parole des forces de l’ordre. "La police de Liège a rendu un avis défavorable. Le contexte politique international est particulièrement tendu".
Selon les autorités politiques et sécuritaires de la ville de liégeoise, c’est dangereux de marquer la commémoration du génocide rwandais en 2025 prévue en avril prochain. Cette décision a pour objectif d’éviter des affrontements à Liège entre Rwandais et Congolais en raison de la guerre en cours dans l’est de l’ancienne Zaïre. C’est le Rwanda que les Congolais accusent d’être derrière le mouvement militaire M23. Aussi dans le contexte international, c’est aussi à cause du Rwanda qui a rompu ses relations avec la Belgique. La Ville de Liège ne veut pas créer l’occasion pour les deux communautés de s’affronter. Elle suit le conseil policier: "rester neutre".
De leur côté, les Rwandais très déçus, n'apprécient pas la décision des autorités et jugent que la ville de Liège qui ne veut pas co-organiser la commémoration du génocide des Tutsis fait du négationnisme.
Il faut dire qu’à ce jour, le bourgmestre de Liège ne leur interdit pas de mettre en place de leur côté, sans la Ville, une cérémonie en souvenir du génocide de 1994. Si l’ordre public devait être menacé, ceci pourrait changer.
Bakolong Agnila
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