Il était une fois le CV anonyme!

Publié le 26 mars 2025 à 23:08

“CV anonyme”. Ce vieux serpent de mer perdu dans les abîmes des froides profondeurs de l'oubli administratif.

Aujourd’hui qu’une mauvaise tonalité nous est insufflée par des acteurs politiques qui parlent du “racisme anti-blanc”, je fais un saut dans l’histoire récente de la France où on rêvait d’une mise à niveau de tous les enfants de la république. Souvenons-nous du “CV anonyme”. Ce vieux serpent de mer perdu dans les abîmes des froides profondeurs de l'oubli administratif.

En 2009, Yazid Sabeg, alors commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, avait indiqué: “Qu’on ne peut pas surveiller, évaluer des politiques publiques si on n’a pas d’instrument quantitatif". Il était par conséquent favorable à des "statistiques positives". "Je crois qu’aujourd’hui on est en train de creuser un sillon qui nous conduit tout droit à l’apartheid", avait-t-il par ailleurs prévenu. Considérant que la période qui s’ouvrait était vraiment la dernière chance pour la France de se “sauver” de ce démon.

 

Il était logique que le vieux serpent de mer du CV masqué se rappelle à notre bon souvenir. Rappelons que ce dispositif est légalement obligatoire depuis le 31 mars 2006, date de l’adoption de la loi sur l’égalité des chances. Sauf que, le décret d’application n’étant jamais paru, l’obligation de sélection garantissant l’anonymat des candidats a fait pschitt. On l’exhume faute de mieux.

S’il faut bien lui reconnaître une qualité, c’est celle d’être le seul et unique outil existant pour tenter de lutter contre les freins à l’embauche des catégories sociales minoritaires. Bref de tout candidat qui ne coche pas à toutes les cases jugées “normales”.

Mais si le CV anonyme est le seul dispositif connu pour faire reculer l’obscurantisme de certains recruteurs, clients ou dirigeants d’entreprises (puisque les uns rejettent généralement les causes de la discrimination sur les autres), son efficacité n'est pas garantie pour autant. D’abord parce que le fait d’être unique et adoubé par nos dirigeants de tous bords n’a jamais transformé un concept en machine de guerre. Ensuite parce qu’il suffit d’entendre les questions de certains recruteurs utilisant les sites d'annonces d'emploi pour frémir. Ces recruteurs font état de trop de CV anonymes dans les bases de données de certaines agences pourvoyeuses de main-d’œuvre. Lorsque ces recruteurs -qui constituent une minorité cela va sans dire- tombent sur l’un de ces candidats anonymes, ils avouent le zapper, obéissant au vieil adage du “qui a quelque chose à cacher, a quelque chose à se reprocher”.

 

Les “discriminateurs”, appelons les ainsi, puisque l’on ne saurait les affubler des termes -certes moins flatteurs mais pas moins justes- de racistes, xénophobes, homophobes, séniorophobes ou misogynes, ont-ils une chance d’être ramenés à la raison par la simple grâce d’un CV sans nom, sans adresse, sans âge et sans rien du tout ?

Évidemment, il y aura toujours les discriminateurs consciencieux, ceux qui sélectionneront des anonymes, les recevront en entretien et les élimineront en direct, après avoir dûment vérifié que l’ ”ingénieur 10 ans d’expérience” est une femme, un français d’origine africaine, ou un chômeur de longue durée. Dans ce cas encore, le CV anonyme ne servira qu’à faire perdre du temps au candidat malheureux.

Et puis, il se peut qu’un discriminateur reçoive un anonyme dans son bureau. Un senior, une femme ou un asiatique. Et que celui-ci retourne la situation, épate le recruteur, lui démontre ses talents, le charme par ses compétences, l’embarque dans ses projets, découvre qu’ils collent parfaitement à ceux dont il rêvait pour sa boîte et pour le poste à pourvoir. Et qu’il l’embauche.

Exceptionnel? Rarissime? Certes. Mais pour un seul recruteur réfractaire qui sera convaincu et un seul candidat qui aura décroché un emploi, le CV anonyme ne mérite-il pas d’être malgré tout officialisé et généralisé? On peut peser le pour, le contre et les dommages collatéraux. On peut créer une commission de plus, demander un rapport à des experts pour valider les choix d’une première sous commission. Et puis, on peut aussi se lancer, tenter, quitte à échouer. Le risque d’une erreur ? Que les discriminateurs continuent de discriminer. Et que les choses restent en l’état.

On a vu des tentatives plus risquées.

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.